Paroles surnaturelles

 

Introduction

 

Tout au long de nos journées, que ce soit dans l'action ou le repos et plus encore dans les temps de réflexion, « ça parle en nous ». Continuellement des représentations occupent le champ de notre conscience psychologique. Et ces représentations sont des pensées, des souvenirs ou des images. Constamment, ce que nous percevons du monde qui nous entoure a un impact sur nous et nos réactions par rapport au réel se manifestent aussi sous une forme affective ou sous la forme de représentations.

 

Ces représentations ont toutes un aspect sensible : en moi je vois - images visuelles - ou j'entends des paroles - images auditives. Intérieurement, nous nous parlons à nous-mêmes. Si nous n'y prenons pas garde, quand ces paroles intérieures ont une certaine force, on arrive à les prononcer à haute voix. Oui, « ça parle en nous ».

 

Le Père Gouvernaire, dans son livre « Quand Dieu entre à l'improviste » écrit : « Il y a beaucoup de voix qui s'entrecroisent en nous et comme on dit: ça parle en moi. Comment identifier en ce concert intérieur, qui tourne souvent à la cacophonie, la voix et la présence de Dieu ? »

 

Parmi toutes ces paroles, il y en a que nous avons bien conscience de fabriquer nous-mêmes. Mais d'autres nous arrivent toutes faites. D'où viennent ces paroles reçues ? Il s'agit de discerner celles qui viennent de Dieu.

 

Donc dans notre prière personnelle, comme dans l'assemblée de prière ou dans le quotidien de notre vie surgissent en nous des paroles auxquelles nous n'avons pas conscience d'avoir participé. Ces paroles reçues peuvent être des grâces qui jalonnent notre vie spirituelle. Elles sont données comme une lumière, un surcroît de force, un appel, un envoi [1].

 

De même qu’il existe trois sortes de visions surnaturelles, il en existe trois pour les paroles (locutions) surnaturelles :

 

  1. Visions extérieures

  2. Visions intérieures

  3. Visions intellectuelles

  1. Paroles extérieures

  2. Paroles intérieures

  3. Paroles intellectuelles


 

[1] Remarque - Il ne sera pas question ici des paroles dites de connaissance, des paroles de science ou des paroles prophétiques données dans une assemblée de prière, pour un groupe ou pour une communauté. Nous n’abordons que les paroles que la Théologie mystique appelle « Paroles surnaturelles ». Cette dénomination exclut évidemment les paroles entendues par une personne en difficultés mentales, c'est-à-dire les « hallucinations ».

 

 

 

 
 

 

 

 

Les paroles extérieures

 

Elles sont perçues par le système auditif. Ces paroles ébranlent l'air par un phénomène de vibration physique, elles atteignent l'oreille externe et reçues par l'oreille externe, elles mettent en œuvre l'oreille interne pour la transmission de l'influx au cerveau. On les appelle également paroles corporelles.

Essayons de repérer quelques exemples dans la Bible :

  • L'annonce aux bergers de la naissance de Jésus. Dans cette nuit de Noël, les bergers, tous ensemble, entendent des chants, des paroles (Luc 2,10-13).

  • Paul sur le chemin de Damas. Ses compagnons entendent eux aussi, par contre ils ne voient pas. Cela peut signifier qu'il y a vibration de l'air par une parole extérieure (Actes 9,7).

  • Au baptême de Jésus, une parole est entendue par la foule (Luc 3,21).

De même dans la vie des saints, dans la vie du Curé d'Ars par exemple, il y a des phénomènes de cet ordre mais aussi des bruits qui viennent des acharnements du Malin contre lui.

 

 

 
 

 

 

Les paroles intérieures

 

Voyons ce que sont ces paroles intérieures; nous verrons ensuite les signes auxquels on peut les reconnaître. Comment identifier dans le concert intérieur des pensées, la voix et la présence de Dieu ? 

Les paroles intérieures font partie de la vie spirituelle ordinaire, elles surgissent spontanément, le plus souvent à l'improviste lorsqu’on pense à tout autre chose. Ce sont en fait les paroles surnaturelles les plus fréquentes. On a vraiment entendu des mots, mais intérieurement. Ces paroles sont formées de locutions reçues sous forme d'images auditives sans intervention du système sensoriel. On les appelle d’ailleurs aussi paroles imaginatives. La personne a la conviction qu’elles ne sont pas une illusion mais bien réelles sans qu’elle puisse en douter.

Bien qu’intérieures, ces paroles peuvent donner l’impression de venir de l'extérieur de soi : elles sont perçues comme provenant du coin gauche de la pièce, par exemple, à telle distance. La personne se demande si elles viennent de l'extérieur ou de l'intérieur, la difficulté persiste même si l’entourage confirme ne pas les avoir entendues. Ainsi l'appel de Dieu au petit Samuel.

D’autres fois, ces paroles paraissent venir du fond de soi-même, de l'intérieur. Alvarez de Paz, un homme qui a vécu et décrit ces phénomènes dit ceci: « Tantôt elles semblent descendre du ciel, tantôt être proférées de près ou de loin, tantôt monter du plus profond du cœur ». Ce n'est pas le souvenir d'une parole, mais c'est une parole vivante qui se dit dans une force d'actualité et qu'il est difficile de localiser.

 

 

 

 
 

 

 

​3. Les paroles intellectuelles

« Intellectuelles » car il s'agit d'une simple communication de pensée sans mots. « Dieu, dit Thérèse d'Avila, initie à ce parler sans paroles qui est le langage de la patrie ». Ces paroles sont beaucoup plus rares, car

elles requièrent en fait un stade beaucoup plus avancé dans la vie spirituelle.

Voici un exemple très parlant extrait de l'autobiographie d'Ignace de Loyola, il se trouvait alors à Manresa :

« Une fois il se rendait (c'est Ignace qui parle à la 3ème personne car il se désigne sous le nom du pèlerin) pour sa dévotion dans une église qui se trouvait un peu plus loin d'un mille de Manrèse. Je crois qu'elle s'appelle Saint Paul et le chemin longe la rivière. Il marchait donc, plongé dans ses dévotions, puis il s'assit pour un moment, le visage tourné vers la rivière qui coulait en contre bas. Comme il était assis à cet endroit, les yeux de son entendement commencèrent à s'ouvrir et sans apercevoir aucune vision, il eut l'intelligence et la connaissance de choses nombreuses aussi bien spirituelles que relevant de la foi et de la culture profane. Et cela avec une illumination si grande que toutes ces choses lui paraissaient nouvelles. On ne peut exposer clairement les notions particulières qu'il entendit alors, bien qu'elles eussent été nombreuses ».

Il dit ensuite que cela a changé complètement sa vie et qu'il lui aurait fallu des mois et des années de vie avant d'avoir ramassé ce qu'il a là entendu et compris en quelques secondes. Une communication de pensée, une illumination ... toute sa vie en sera transformée.

 

 
 

 

 

4. Discerner l’origine des paroles surnaturelles

 

Certains soupçonnent les paroles surnaturelles de n'être que des projections humaines. De son côté, l’Ennemi du genre humain essaie de se glisser là pour troubler et faire dévier du chemin. Il nous faut donc tenir compte et de l’œuvre du Malin et de notre inconscient. Posséder quelques critères de discernement semble bien utile ; il y a notamment les critères proposés donnés par Thérèse d'Avila et ceux formalisés dans les règles du discernement spirituel d’Ignace de Loyola.

Par ailleurs, à la suite des Pères de l'Eglise et particulièrement des Pères grecs, il faut tenir compte de l'apport de la sagesse humaine et, actuellement, des sciences humaines. Freud a exploré puis théoriser le fonctionnement de l’inconscient. Tout familier de l'Evangile, tout disciple du Christ ne peut se contenter d'un certain sibyllisme dans sa vie spirituelle : ne lui arrive-t-il pas plus souvent qu’à son heure de poser des actes ou d'avoir des pensées contraires à ses intentions ?

 

Quelques critères

 

1. La simplicité, la clarté ou la netteté des paroles

 

« Mes brebis entendent ma voix » dit Jésus lui-même. En effet, quelqu'un qui a l'habitude de la voix du Berger, reconnaît le ton, le style et le contenu qui lui est propre. Clarté sereine, simplicité, netteté. Une parole authentique du Sauveur ne rend pas le même son que les échos du subconscient ou les imitations de l’Adversaire. Dans chacune de ses paroles, on sent un point ferme de repos, quelque chose qui met un terme aux incertitudes ou aux débats. Lorsque Dieu parle, c'est toujours simple, clair, net.

 

Thérèse d'Avila dit ceci: « Les paroles intérieures sont parfaitement distinctes, l'âme, c'est-à-dire la personne, les entend d'une manière beaucoup plus claire que si elles arrivaient par les sens. Les paroles intérieures sont prononcées par une voix si claire qu'on ne perd pas une syllabe de ce qui est dit. Le plus souvent au contraire, les paroles venues de l'imagination sont indécises, sans consistance, la phrase hésite et ne s'achève pas » (ceci est extrait de la Vie de Thérèse écrite par elle-même).

 

Ce qui vient de Dieu est clair, ce qui vient des facultés humaines est imprécis et même confus, ce qui vient de l’Ennemi est troublant.

 

 

2. La majesté des paroles leur donne autorité

 

Majesté. Ce terme qui nous est peu familier est de Thérèse d'Avila: la majesté, c'est ce que nous disons quand nous louons Dieu pour sa grandeur: « Tu es Grand Seigneur, éternellement ». A la fois, nous goûtons l'intimité, la présence intérieure de Dieu et nous savons en même temps que notre Dieu est transcendant, qu'Il est le Tout Autre, qu'Il dépasse infiniment toute créature. Thérèse écrit:

« Ces paroles sont parfois accompagnées de tant de majesté, que, sans considérer (= sans réfléchir davantage), nous ne pouvons faire autrement que de trembler quand elles nous reprennent de nos fautes et de fondre d'amour quand elles nous témoignent de l'amour. »

Cette majesté confère autorité, au sens évangélique, aux paroles reçues … à ne pas confondre avec « autoritarisme ». C'est l'autorité au sens évangélique qui offre la croissance aux enfants du Père. « Jésus parlait avec autorité ».

Citons toujours Thérèse:

« Les paroles intérieures s'imposent et domptent toute résistance, elles forcent à écouter. Etant souverainement indépendantes de notre vouloir, elles obtiennent de notre entendement une attention parfaite à tout ce que Dieu veut dire. La crainte d'être trompée m'a fait résister plus de deux ans à ces paroles intérieures et maintenant encore, j'essaie de temps en temps de résister, mais sans grand succès ».

Respect de la liberté. La force de ces paroles s'imposent sans violer la liberté, c'est la marque de Dieu de respecter notre liberté. En entendant ces paroles, nous n'hésitons pas, nous ne doutons pas qu’elles soient de Dieu. Le doute, s'il survient, apparaît dans un second temps qui est le nôtre et plus celui de Dieu. Thérèse vit l'expérience et ce n'est qu'e secondairement qu'elle craint d'être trompée et génère un doute.

Saint Jean de la Croix donne une précision concernant les paroles qui invitent à une mission et proposent une tâche à accomplir au service de Dieu : « Les paroles sont reçues sans que l'on sente une pression en nous, elles nous laissent entièrement libres ». A titre d’exemple, Jeanne d'Arc a mis trois ans, après avoir entendu "ses voix", pour se décider à se mettre en route. Pendant trois ans, les voix lui disaient: « Pars, sauver le Royaume de France ». Elle était si libre qu'elle a mis trois ans pour se décider.

Certitude. Au moment où l'âme entend ces paroles, dit Thérèse, elle n'hésite pas. Elle mourrait pour en attester la vérité. Quelque effort que fasse le Démon pour l'attrister ou la décourager et quoi que son imagination lui représente, elle demeure ferme dans la créance que Dieu en est l'auteur, principalement quand ces paroles regardent son service ou le bien des âmes ou qu'il paraît difficile que les choses réussissent. C'est donc plus tard seulement que le doute peut s'installer mais pas pendant l'écoute de la Parole, puisque Thérèse va jusqu'à affirmer qu'on mourrait si l'on nous demandait de dire que cela ne vient pas de Dieu.

Paix. Les sentiments qui nous habitent quand nous écoutons ces paroles viennent de Dieu :

« Nous ressentons tranquillité, paix, recueillement, louange, dit encore Thérèse, tandis que si c'est l'Ennemi, il y a inquiétude et trouble »

 

3. La science instantanée

 

Nous en avons donné un exemple dans les paroles intellectuelles qui ont transformé la vie d'Ignace, de Loyola. Lorsque c'est Dieu qui parle, dit encore Thérèse d’Avila, « sa Parole nous instruit en un instant et nous fait comprendre des choses que nous ne pourrions coordonner en un mois ».

 

En lisant l'autobiographie d'Ignace, on voit que ce qui est donné en un instant se déploie au fil de toute une vie. Car le sens des paroles reçues est bien plus riche que toutes nos petites idées à propos de Dieu et des choses de l'homme, cela les dépasse et c'est sans proportion avec tout ce que nous pourrions penser par nous-mêmes.

 

4. Les effets de ces paroles sur l’attitude intérieure

Ecoutons Thérèse d'Avila:

« Quand les paroles divines conseillent ou ordonnent une disposition intérieure, elles produisent en même temps ce changement dans l’âme : ces paroles sont dites agissantes. »

Thérèse ajoute même que c'est la marque la plus évidente, la « blessure » pratiquée par Dieu pour qu'on puisse dire que la parole intérieure est parole venant de Dieu.

 

5. Le souvenir persistant

 

Une marque à laquelle on reconnaît que les paroles viennent de Dieu : elles demeurent gravées dans la mémoire sans s'effacer. Ceux qui en ont l'expérience peuvent faire la différence avec leurs propres paroles ou celles de l'Ennemi. Pour nous rappeler ces dernières, nous forgeons nous-mêmes les mots, les expressions et les phrases qui véhiculeront les pensées reçues. Quand la parole vient de Dieu, elle arrive soudain, avec clarté et s’inscrit profondément en soi.

Il y aurait sûrement d'autres critères.

 

 

 

 
 

Remarques conclusives

Un seul de ces critères ne suffit pas. Plus on les accumule, plus on s'approche de la certitude.

L'ouverture à l'accompagnateur est importante car c'est une garantie contre l'illusion. Le secret est tentation du Malin.

Il importe de distinguer le temps de la réception de la parole du temps qui la suit. En effet, bien que les paroles émises viennent de Dieu, l’interprétation en laquelle elles sont reçues peut facilement y glisser une erreur. Une confusion s’installe entre les paroles « du ciel » et leur traduction « humaine », si bien que la personne en arrive à penser de bonne foi que l'interprétation vient aussi de Dieu. Un exemple classique de cette confusion est celle de François d’Assise à qui Jésus avait demandé de réparer son Eglise et qui s’était diligemment mis à restaurer les chapelles environnantes.

Tous ces critères n'excluent pas la règle d'or du discernement qui vaut pour toutes les manifestations de la vie spirituelle. Cette règle est donnée par Jésus Lui-même : « On reconnaît l'arbre à ses fruits ». Il faut donc s’interroger : quel profit est retiré des paroles surnaturelles entendues ?

Ces paroles intérieures restent secondes par rapport à la Parole authentique qu’est le Verbe fait chair. Ces paroles ne peuvent être que la menue monnaie de la Parole tout entière. Le Fils est le Verbe du Père, l'Esprit redit la Parole qu'il a entendue du Fils; il est le souffle qui porte les mots, la voix qui transmet la Parole. Il est langue de feu. Au fond, il n'y a qu'une seule Parole : Jésus-Christ.

Au fur et à mesure du progrès de la vie spirituelle, les paroles habituellement diminuent (sauf lorsqu'il y a mission). Les paroles disparaissent au seul profit de l’unique Parole qu'est Jésus-Christ, le Verbe incarné. Tout se simplifie. Certains ne peuvent plus dire que: « Jésus ». Saint Jean écrivait : « Mes petits-enfants, aimez-vous les uns les autres ». Des paroles, le disciple est alors passé à la Parole qui se résume dans le nom de Jésus.À ce sujet, rappelons le Catéchisme de l'Église catholique : « Au fil des siècles, il y a eu des révélations dites privées, dont certaines ont été reconnues par l'autorité de l'Église. [...] Leur rôle n'est pas [...] de “compléter” la Révélation définitive du Christ, mais d'aider à en vivre plus pleinement à une certaine époque de l'histoire » (n. 67).